Un bon gros accord commercial entre l’UE et Trump ? Ne rêvez pas !

Les responsables politiques européens n’ont pas envie de faire de grandes concessions à la Maison-Blanche et de revenir sur les sujets brûlants qui ont dominé les négociations du TTIP il y a dix ans.

BRUXELLES — Ne vous attendez pas à ce que l’Europe et les Etats-Unis concluent un accord commercial de grande envergure simplement parce que le président américain Donald Trump menace d’imposer des droits de douane allant jusqu’à 50% sur les produits de l’UE d’ici le 9 juillet.

L’Europe n’a aucune envie de revivre le cauchemar de sa dernière tentative : le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (Transatlantic Trade and Investment Partnership, ou TTIP en anglais). Saluées en 2013 comme une tentative de créer un bloc commercial occidental contre la Chine, les négociations du TTIP ont échoué trois ans plus tard, les responsables politiques européens ayant constaté qu’elles étaient impossibles à faire accepter.

Peu de choses ont changé.

Un accord précipité visant à satisfaire les intérêts commerciaux fondamentaux des Etats-Unis près d’une décennie plus tard s’avérerait tout aussi traumatisant et toxique. La France et l’Allemagne savent que leurs électeurs sont toujours aussi hostiles au poulet chloré et craignent toujours que les entreprises américaines n’utilisent les clauses d’arbitrage international pour saper les normes européennes en matière de santé et d’environnement.

Dès lors, comment éviter une guerre commerciale d’ici le 9 juillet ? Tout au plus, une minitrêve cosmétique pourrait être envisagée pour donner à Trump une victoire politique symbolique.

Donald Trump se félicite déjà que sa menace de hausse des droits de douane ait contraint l’UE à cesser de “faire traîner” les choses et à conclure un accord. Si ce miniaccord pourrait cibler les quelques sujets les plus faciles à traiter, il est à mille lieues de l’ambition du TTIP, qui prévoyait un alignement des réglementations de part et d’autre de l’Atlantique.

Les diplomates et les représentants affirment que deux voies distinctes sont désormais en jeu. Le commissaire européen au Commerce, Maroš Šefčovič, et le secrétaire américain au Commerce, Howard Lutnick, chercheront à apaiser les tensions sur les métaux, les voitures, les produits pharmaceutiques et d’autres secteurs ciblés par les enquêtes commerciales de Washington. Un autre volet, plus technique, négociera les droits de douane de base, qui sont actuellement de 10%, bien que Trump menace de les porter à 50%.

Ce n’est pas vraiment nouveau. Bruxelles a déjà proposé d’abaisser ses droits de douane (relativement faibles) sur les produits industriels et de s’associer pour s’attaquer à l’excédent commercial chinois.

Pour adoucir l’accord, d’autres petites mesures pourraient être prises, notamment la reconnaissance des normes de sécurité américaines pour les voitures et la suppression des droits de douane sur l’éthanol américain, bien que ces deux mesures se heurtent à des obstacles politiques au sein de l’UE.

Mais on est loin des discussions sur de grandes concessions en matière agricole, sur l’alignement des normes ou sur la manière dont les multinationales peuvent poursuivre les gouvernements européens — des sujets qui se sont révélés fatals il y a dix ans. En 2025, Paris et Berlin sont très clairs sur les limites de ce qui peut figurer dans l’accord.

Pas de TTIP 2.0

Le nouveau chancelier allemand Friedrich Merz, un atlantiste convaincu qui s’est donné pour mission de sauver l’industrie automobile chancelante de son pays, a revu son discours, lui qui, pendant sa campagne électorale, jugeait que la conclusion d’un TTIP 2.0 “à moyen terme” était une bonne idée.

“Aujourd’hui, nous savons à quel point cela aurait pu être utile”, a déclaré Friedrich Merz au début du mois de mai, après un appel avec Donald Trump. Ce qui est fait est fait, a-t-il déploré.

Le nouveau chancelier allemand Friedrich Merz, un atlantiste convaincu qui s’est donné pour mission de sauver l’industrie automobile chancelante de son pays, a revu son discours, lui qui, pendant sa campagne électorale, jugeait que la conclusion d’un TTIP 2.0 “à moyen terme” était une bonne idée. | Toms Kalnins/EFE via EPA

Le ministre français des Finances, Eric Lombard, a osé ressusciter le fantôme du TTIP — avant d’être renvoyé dans les cordes un jour plus tard par l’Elysée. Les responsables français ne veulent pas que leurs agriculteurs recouvrent les Champs-Elysées de paille et de fumier.

Jean-Luc Demarty, chef de la direction générale du commerce de la Commission européenne pendant les négociations du TTIP, a également tremblé à l’idée d’un retour à ce type de diplomatie. “Ce serait une très grave erreur. Cela ne nous mènerait nulle part […]. Je les ai dirigés pendant [plusieurs années] et j’ai vu qu’il s’agissait d’une négociation impossible”, confie-t-il à POLITICO.

Un autre facteur dissuadant de faire des concessions à Trump est qu’il a montré qu’il déchirerait volontiers tout accord conclu, comme l’ont découvert les Mexicains et les Canadiens. Même si le TTIP avait une structure sans droits de douane, Trump aurait vraisemblablement exigé davantage.

“Faire partie d’un accord de libre-échange ne garantit pas de ne pas être soumis à ces droits de douane. Même si le TTIP existait, je ne sais pas si cela aurait empêché ce qui se passe actuellement”, estime Josh Lipsky, directeur senior de l’Atlantic Council, un think tank basé à Washington.

La confiance s’effrite

Depuis son entrée en fonction le 20 janvier, Trump s’est plus que jamais mis l’UE à dos, la qualifiant de “plus méchante” que la Chine et insistant sur le fait qu’elle a été créée pour “entuber” les Etats-Unis.

Pendant ce temps, Bruxelles a été frustrée de voir que ses appels à un désarmement tarifaire sont restés lettre morte.

Son partenaire de négociation à Washington est également très irrégulier.

“C’est une administration Trump différente : dans le cadre du TTIP et de ce qui s’est passé juste après, il y avait encore des personnes très expérimentées du côté américain, même si l’on n’aimait pas ce que [l’ancien représentant américain au commerce] Robert Lighthizer disait. Il demeurait un négociateur sur les sujets commerciaux très expérimenté”, compare David Henig de l’European Centre for International Political Economy.

Aujourd’hui, “ils ne savent pas ce qu’ils cherchent, mais il ne semble pas que ce qu’ils cherchent soit susceptible d’être un accord orthodoxe”, ajoute-t-il.

Ainsi, pour tenter de sauver ce qui reste de la relation commerciale transatlantique de 1 600 milliards d’euros, l’UE mise sur des progrès modestes. Si le TTIP n’était pas possible lorsque les négociateurs allaient plus ou moins dans la même direction il y a dix ans, il est encore moins viable aujourd’hui.

“Le TTIP était déjà très difficile à réaliser à l’époque où nous le négociions, même si les deux parties partageaient alors des objectifs communs”, retrace Ignacio García Bercero, qui était alors le négociateur en chef de l’UE pour l’accord.

“Il est devenu très clair qu’il allait être extrêmement difficile de trouver un moyen de parvenir à un accord que l’Union européenne aurait pu présenter comme équilibré. Et cela dans des circonstances totalement différentes de celles que nous connaissons aujourd’hui”, poursuit-il.

Un accord voué à l’échec

Présenté par ses partisans comme le plus grand accord commercial bilatéral jamais conclu, le TTIP semblait initialement aller droit au but, tant les avantages économiques potentiels pour les deux parties étaient importants. Le commissaire au Commerce de l’époque, Karel De Gucht, a déclaré qu’il permettrait aux familles européennes de gagner jusqu’à 545 euros de plus par an.

Mais les réactions politiques suscitées par le secret des négociations et les inquiétudes concernant les normes en matière d’environnement, de santé et de travail ont fini par faire échouer l’accord.

Le commissaire européen au Commerce, Maroš Šefčovič, et le secrétaire américain au Commerce, Howard Lutnick, chercheront à apaiser les tensions sur les métaux, les voitures, les produits pharmaceutiques et d’autres secteurs ciblés par les enquêtes commerciales de Washington. | Olivier Hoslet/EFE via EPA

Un mécanisme d’arbitrage obscur, connu sous le nom de mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et Etats, a exacerbé les tensions parce qu’il était considéré comme donnant un pouvoir disproportionné aux multinationales pour contester les règles européennes.

“C’était une erreur. Nous n’aurions jamais dû négocier cette question avec les Etats-Unis”, concède rétrospectivement Ignacio García Bercero.

Mauvaise affaire à l’époque… et encore aujourd’hui

A l’origine, Donald Trump avait fixé une date butoir impossible à respecter, à savoir le 1er juin, pour conclure un accord avant l’entrée en vigueur de droits de douane de 50%. Toutefois, après un “appel très agréable” avec Ursula von der Leyen, les deux parties ont reporté la date limite au 9 juillet.

Mais les propres lignes rouges de l’UE, telles que le respect des règles du commerce mondial, laissent penser qu’un véritable accord n’est pas à portée de main.

“Si vous êtes l’UE et que vous souhaitez préserver votre espace réglementaire et votre secteur agricole, mais que vous souhaitez également [vous débarrasser] des droits de douane de 10%, ou des droits de douane sur l’acier ou sur d’autres produits […]. Vous avez de grandes exigences si vous êtes l’UE”, pointe David Henig, de l’European Centre for International Political Economy.

Un accord reconnaissant les normes américaines en matière de sécurité automobile — un point qui a également fait échouer les négociations du TTIP — pourrait permettre d’introduire davantage de voitures américaines dans l’UE, bien qu’il s’agisse d’un projet de longue haleine et qu’il ait été critiqué par les associations spécialisées dans la sécurité des transports.

Bruxelles pourrait également s’inspirer de l’accord conclu par le Royaume-Uni avec Trump et autoriser l’éthanol américain à entrer dans l’UE sans droits de douane, mais l’industrie européenne met déjà en garde contre les conséquences négatives.

“Un accord similaire avec l’UE signifierait la même menace pour l’industrie en Europe, où les agriculteurs sont soumis à des réglementations plus strictes et ne disposent pas de cultures [génétiquement modifiées]”, a déclaré un porte-parole d’ePURE, l’association européenne de l’éthanol renouvelable.

Dans l’ensemble, même si l’UE est déterminée à conclure une sorte d’accord cette fois-ci pour apaiser Trump, l’ambiance est au fatalisme omniprésent, les Etats-Unis ne se révélant pas être un honnête courtier.

“C’était un mauvais accord la première fois. Ils nous ont roulés dans la farine et ils le referaient”, estime un diplomate de l’UE.

Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais et a été édité en français par Jean-Christophe Catalon.